vendredi 11 février 2011

Morgen

Il y a quelques années de cela, j’ai fait un voyage en Roumanie en « immersion » dans une famille roumaine. Au premier petit déjeuner, le père de famille m’a proposé quelque chose que je n’ai pas tout de suite compris : pálinka. Après traduction, il s’agissait d’un alcool fort, en fait l’équivalent de la fameuse "prune" de  nos campagnes qui est encore fabriquée çà et là par les derniers bouilleurs de cru. Je ne me sentais pas de refuser, et je n’ai pas été déçu car en plein mois d’août caniculaire, elle réchauffait bien !

Quelques jours plus tard, alors que l’on voyageait en faisant du camping sauvage au bord des rivières roumaines, la tradition vite instaurée voulait qu’avant chaque dîner le père de famille et moi-même partagions un verre de la dite pálinka. Un soir je lui refusais ce plaisir, je ne me souviens plus pourquoi, fatigue ou mal de tête. Ce petit homme jovial, un peu rondouillard et affable m’a alors regardé gravement en me disant : « Il faut boire, cela fait oublier la misère »…

Alors évidemment à ce mot de pálinka, prononcé dans une des premières scènes du film Morgen ("demain" en allemand) de Marian Crisan, ces souvenirs aussitôt sont remontés dans ma mémoire. Le héros, Nelu, en propose à celui qui devrait réparer son toit. Mais dans un pays comme la Roumanie, et surtout lorsque chacun se bat pour surnager au-dessus de la pauvreté, tout se monnaie d’une manière ou d’une autre. Nelu le sait bien et se méfie autant qu’il peut des personnes qui essaieraient de profiter de lui.

Yilmaz Yalcin, migrant turc dans Morgen
Vigile dans une chaîne de supermarchés discounts allemands de la petite ville frontière où il habite, on le voit tel un super-héros de pacotille enfiler à plusieurs reprises le pantalon rouge et la chemise jaune siglée "Predator Security". Déjà, dans le magasin, il aide les gens comme il peut, clients comme magasiniers. Ce qui manque à sa vie, c’est probablement cette vocation d’aide, qui va se dévoiler lorsqu’un migrant turc l’implore, sans que ni l’un ni l’autre ne parle la même langue, de l’aider à franchir la frontière pour partir rejoindre sa famille en Allemagne.

Nelu le cache tout d’abord, puis finit par aider cet étranger, véritable moulin à paroles mais qui arrive de ce fait à faire si bien comprendre sa détresse. Il ne le secoure pas "gratuitement", mais à partir du moment où il accepte l’argent de ce petit bonhomme, il se sent comme investi d’une mission. Morgen, c'est le mot leitmotiv que Nelu le roumain répète à Behran le turc, le jour d'après, celui des lendemains qui chantent, du moins faut-il l'espérer. Mais il ne s’agit pas dans ce film de montrer simplement quelqu’un venir au secours d’un autre, c’est aussi la révélation d’une amitié, d’une compréhension entre les êtres qui dépasse la parole, ce qui en soi n'a pas de prix.

On a souvent envie de rire, on rit d’ailleurs mais en étant un peu gêné, car tout le film baigne entre ces deux pôles que sont le tragique et  le ridicule. De la première à la dernière scène qui se répondent comme dans un jeu de miroirs, c’est l’absurde qui baigne la vie des personnages, qui l’acceptent car ils n’ont pas d’autre choix… Et cependant, c’est en faisant le choix d’aider un homme à franchir une frontière, en devenant hors-la-loi, que Nelu devient un héros, et se découvre un ami. Il faut croire en l’autre, c’est le seul rempart à la misère humaine…

1 commentaire:

  1. Bravo Pierre,
    bel article, bien écrit comme toujours. Quand te décideras-tu à publier quatre ou cinq articles par semaine (ce serait pour ma plus grande joie)?? ;-))
    Sentiments anarchistes,
    Karl

    RépondreSupprimer