jeudi 11 novembre 2010

Toussaint

Veille de la Toussaint, je n’y pense même pas, et pourtant je suis décidé à me rendre au cimetière de Montmartre. J’ai pris mon appareil photo, je sais que la dernière fois que je m’y suis rendu, j’ai été subjugué par une statue funéraire. C’est un art dont on parle peu, la mort n’est pas forcément vendeuse, du moins seulement ponctuellement. Les arbres ont pris une belle couleur jaune, cela ne durera pas éternellement, il faut profiter du moment.

Je n’ai pas relevé le nom de l’artiste, pourtant j’ai tourné pudiquement autour de la tombe pour aller y lire son autographe. Je n’ai pas retenu non plus le nom de la personne qui a mérité un aussi joli mausolée, la beauté important à mon avis toujours plus que la taille. Oui, j’ai dit pudiquement, car malgré tout je me sens gêné de prendre ainsi des photos dans un lieu qui soutient le souvenir jusqu’à temps que celui-ci disparaisse. Lorsque je butte contre une tombe, je ne peux m’empêcher de dire « pardon », pas de manière automatique comme cela se fait quotidiennement dans les incessantes bousculades du métro, mais avec plus de respect finalement pour les morts que pour les vivants. Et pourtant je souris lorsque je vois une tombe ouverte sur le côté, et transformée à l’intérieur en tanière pour chats, avec tout ce qu’il faut de mou et de croquettes pour tenir au moins sept vies.

© P.-O. Lhermite
La statue représente une femme vêtue d’un seul grand voile de deuil, qu’elle laisse impudiquement ouvert sur sa poitrine. Il n’y a plus pour elle de pudeur à avoir, la mort a emporté l’être cher. Plutôt que de retenir le voile avec ses mains pour cacher sa chair nue, de l’une elle se soutient pour ne pas s’affaisser sur la pierre tombale, de l’autre elle cache son visage que l’on imagine en larmes. Il y a dans cet abandon nulle faiblesse telle que l’on peut l’entendre normalement, mais la force de la vie qui a besoin d’évacuer toute la tristesse contenue.


Musée Fabre/Montpellier
Je ne peux m’empêcher de penser, en la regardant, que l’artiste s’est peut-être inspiré d’un marbre allégorique de Jean-Antoine Houdon, L’Hiver ou La Frileuse. En effet, c’est un même voile posé sur la tête de la jeune-fille qui lui sert de seul habit, mais que celle-ci ramène sur sa poitrine, le visage penché et les épaules un peu voûtées par le froid, laissant quand bien même ses fesses sans nulle protection. Cela pourrait être aussi bien une jeune fille sortant du bain, mais auprès d’elle se trouve une vasque que le gel a fait exploser et dont quelques morceaux jonchent le sol à ses pieds. Le reste tient par l’effet de l’eau gelée qui garde, comme une empreinte, les lignes du vase.

Inspiré ou non, l’artiste funéraire a repris le même symbole, celui de la jeune-fille voilée, figure de deuil d’un hiver éternel au-dessus duquel la vie éclate dans toute la douleur, l’oubli de soi et la volonté malgré tout de ne pas fléchir. Il faut parfois se rendre dans un cimetière pour avoir des preuves de vie.

Il n’y a presque plus de feuilles aux arbres…