lundi 2 mai 2011

Trois bio

Il y a quelques semaines, je commençais Autoportrait de l’auteur en coureur de fond d’Haruki Murakami. J’ai découvert cet auteur tardivement, il y a deux ans environ, après qu’une amie m’ait conseillé la lecture de La balade de l’impossible (à voir très bientôt sur les écrans, adapté par Trần Anh Hùng, le talentueux réalisateur d’À la verticale de l’été). Je trouvais ce roman très beau, essayais d’en lire un autre, La course au mouton sauvage dans lequel je n’entrais pas vraiment et l’abandonnais en cours de lecture pour l’offrir à quelqu’un…
Cette fois-ci je n’ai pas lâché ce petit récit qui parle de l’expérience de l’auteur en tant que coureur, mêlant à celui-ci tout plein de détails biographiques et notamment comment il en est venu à écrire après avoir tenu un club de jazz à Tokyo durant plusieurs années. Le titre de son avant-propos est en cela programmatique : « On choisit de souffrir ». Ce terme n’est pas celui d’un masochiste invétéré, mais d’une personne exigeante qui sait que pour la course comme pour l’écriture, il est question d’endurance et de labeur quotidien desquels se dégage, après des passages douloureux, le plaisir de l’accomplissement et de l’arrivée au but final. Ce qui compte, c’est la persévérance…
J’ai par hasard enchaîné sur une autre autobiographie, celle d’un guide de haute montagne dont je venais de voir un des films consacré au peuple tibétain. Raymond Renaud, originaire des Hautes-Alpes, y livre à la fois son expérience de la montagne mais aussi, de manière pudique, les souvenirs d’une enfance douloureuse qui le poursuivent longtemps au cours de sa vie d’adulte. Rapprocher son récit de ceux de deux artistes, écrivain et peintre, n’a en soi rien de saugrenu, car il s’agit bien là d’un art et de l’un de ses représentants.
Renaud ne vit pas son métier comme d’autres qui n’y voient qu’une suite de défis lancés envers la nature ou eux-mêmes : « la montagne est un monde de poésie dans lequel [il s’est] totalement fondu ». Car ce qui est important pour lui, tout autant que le but, c’est le cheminement et la façon même de se mouvoir sur la roche : « Nous touchons à l’esthétisme de l’escalade érigée subitement en une forme d’art ». Et puis il y a le courage, non pas celui qu’il faut pour gravir ou descendre une montagne, mais celui qui touche à l’abnégation quand, au péril de sa vie, il part sauver celles des autres. On peut parler bien évidemment de conscience ou de bonne conscience, mais seule la conscience qui se traduit par des actes a pour nom  le courage.
Une amie m’a conseillé ensuite la lecture de la biographie du peintre Nicolas de Staël, Le Prince foudroyé, de Laurent Greilsamer. Je me souviens encore de la première fois où j’ai vu un tableau de Staël. C’était en cours d’arts plastiques, au lycée, en classe de première il me semble. Nous étions assis autour d’une grande table rectangulaire, et notre professeur nous faisait passer des reproductions, sur des feuilles volantes ou des livres, des peintres dont elle nous parlait. À cette époque, je n’aimais guère la peinture abstraite. Et je ne peux pas dire que j’ai aimé d’emblée la peinture qui m’était présentée, Le Lavandou, mais quelque chose s’était posé sur ma rétine, et je ne pouvais plus désormais m’empêcher de revenir vers cette reproduction pour la regarder. Je n’arrivais pas à déterminer si elle représentait quelque chose ou non, mais je sentais que l’assemblage même des couleurs avait un sens profond qui parlait à ma sensibilité, qui me donnait pour la première fois plus à ressentir qu’à voir.
On ne peut d’ailleurs pas vraiment parler de peinture abstraite en ce qui concerne Nicolas de Staël. Lui-même, après une incursion dans cette voie, se défendait ensuite de faire partie de cette mouvance. Ce qu’il y a d’étonnant chez lui, et qui s’est révélé à la lecture de sa vie, c’est cette insatiable soif de peinture. Il peignait non pour les autres mais pour lui, dans une sorte d’élan vital. Tellement vital qu’il en oubliait les autres fonctions qui servent tout d’abord à vivre, comme manger par exemple, et il préférait torturer ses tripes plutôt que de ne pouvoir acheter de la couleur pour ensuite la triturer sur la toile. Il est en cela l’exemple même de la passion, dans les différentes acceptions de ce terme. Passion propre à l’affect, qui se joue de l’homme et qui place, au-dessus de tout, les désirs qui débordent de lui. Passion dévorante, qui ne peut se contenter de vivre dans la mesure commune et qui porte celui qui lui est assujetti à l’autodestruction. Ainsi écrit-il, peu avant sa mort, à une ancienne amie de l’Académie des beaux-arts : « Depuis que “cela” se vend – qu’on me prend en considération – qu’on me dit sur la route de la célébrité, c’est foutu mon amie. Il n’y a plus rien. Cela se vide… J’ai perdu mon univers et mon silence. Je deviens aveugle. Ah, Dieu… revenir en arrière ! N’être personne pour les autres et tout pour moi-même… Si vous n’avez pas encore perdu votre monde  gardez-le jalousement, défendez-le contre l’envahissement ; moi, j’en crève… ».

Passion, courage, persévérance, pour arriver à devenir un grand dans son domaine, chacun nous apprend qu’il faut, à un moment ou à un autre (mais ce qui correspond finalement chez eux à un besoin, presque à une nécessité) se jeter dans le vide, en souhaitant que l’état d’apesanteur dure le plus longtemps possible…

1 commentaire:

  1. Cher Pierre,
    félicitations pour ce nouveau billet, qui s'est longtemps fait attendre. Décidément, la littérature n'a plus beaucoup de secrets pour toi. Pour notre plus grand bonheur, tu décryptes chaque œuvre littéraire, nous donnant ainsi une irrépressible envie d'évasion et de liberté.
    Bonne continuation à toi,
    Sentiments anarchistes,
    karl

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