jeudi 22 septembre 2011

Une traversée

Nous sommes partis à pied de la limite entre la Haute-Vienne et la Corrèze, d'un petit village qui s'appelle Domps. C'est un nom que j'aime bien, on dirait une onomatopée des cloches du village quand elles se mettent à sonner.
Nous avons traversé beaucoup de forêts, comme celle-ci où les troncs recouverts de mousse semblent porter de longs manteaux de peau verts.










Nous avons après Treignac, un très joli village, passé le massif des Monédières, et nous nous sommes arrêtés à un de ses points culminants à cette pierre branlante, dite Pierre des druides.


Nous avons fait de petites rencontres au cours de notre chemin. La plus petite d'entre elle était un chaton qui nous a suivi tout un moment. Nous l'avons baptisé, durant les quelques minutes de notre chemin commun, du nom du village que nous venions de traverser : Madranges.











Il était normal, en traversant la Corrèze, d'en suivre un moment le cours, et c'est ce que nous avons fait alors que notre étape nous menait en direction de Tulle.





Et bien évidemment, nombreux sont les troupeaux de belles vaches limousines que nous avons rencontrés un peu partout dans les prés.

Les paysages de cette fin d'été étaient tout simplement magnifiques, les bruyères connaissaient le moment de leur plus haute floraison, le temps était chaud et doux et nous pouvions voir au loin toutes les collines et montagnes que nous avions déjà passées.
Nos bâtons quittaient rarement nos mains, sauf au moment des pauses comme ici, au-dessus d'un cours d'eau, sur un pont où nous avons pique-niqué.

Notre dernière étape, nous la fîmes en canoë sur la Dordogne, en suivant les hérons et les martins-pêcheurs.

Beaulieu-sur-Dordogne, terme de notre périple, quand les orages menaçaient, à la limite sud de la Corrèze que nous venions donc de traverser.

lundi 2 mai 2011

Trois bio

Il y a quelques semaines, je commençais Autoportrait de l’auteur en coureur de fond d’Haruki Murakami. J’ai découvert cet auteur tardivement, il y a deux ans environ, après qu’une amie m’ait conseillé la lecture de La balade de l’impossible (à voir très bientôt sur les écrans, adapté par Trần Anh Hùng, le talentueux réalisateur d’À la verticale de l’été). Je trouvais ce roman très beau, essayais d’en lire un autre, La course au mouton sauvage dans lequel je n’entrais pas vraiment et l’abandonnais en cours de lecture pour l’offrir à quelqu’un…
Cette fois-ci je n’ai pas lâché ce petit récit qui parle de l’expérience de l’auteur en tant que coureur, mêlant à celui-ci tout plein de détails biographiques et notamment comment il en est venu à écrire après avoir tenu un club de jazz à Tokyo durant plusieurs années. Le titre de son avant-propos est en cela programmatique : « On choisit de souffrir ». Ce terme n’est pas celui d’un masochiste invétéré, mais d’une personne exigeante qui sait que pour la course comme pour l’écriture, il est question d’endurance et de labeur quotidien desquels se dégage, après des passages douloureux, le plaisir de l’accomplissement et de l’arrivée au but final. Ce qui compte, c’est la persévérance…
J’ai par hasard enchaîné sur une autre autobiographie, celle d’un guide de haute montagne dont je venais de voir un des films consacré au peuple tibétain. Raymond Renaud, originaire des Hautes-Alpes, y livre à la fois son expérience de la montagne mais aussi, de manière pudique, les souvenirs d’une enfance douloureuse qui le poursuivent longtemps au cours de sa vie d’adulte. Rapprocher son récit de ceux de deux artistes, écrivain et peintre, n’a en soi rien de saugrenu, car il s’agit bien là d’un art et de l’un de ses représentants.
Renaud ne vit pas son métier comme d’autres qui n’y voient qu’une suite de défis lancés envers la nature ou eux-mêmes : « la montagne est un monde de poésie dans lequel [il s’est] totalement fondu ». Car ce qui est important pour lui, tout autant que le but, c’est le cheminement et la façon même de se mouvoir sur la roche : « Nous touchons à l’esthétisme de l’escalade érigée subitement en une forme d’art ». Et puis il y a le courage, non pas celui qu’il faut pour gravir ou descendre une montagne, mais celui qui touche à l’abnégation quand, au péril de sa vie, il part sauver celles des autres. On peut parler bien évidemment de conscience ou de bonne conscience, mais seule la conscience qui se traduit par des actes a pour nom  le courage.
Une amie m’a conseillé ensuite la lecture de la biographie du peintre Nicolas de Staël, Le Prince foudroyé, de Laurent Greilsamer. Je me souviens encore de la première fois où j’ai vu un tableau de Staël. C’était en cours d’arts plastiques, au lycée, en classe de première il me semble. Nous étions assis autour d’une grande table rectangulaire, et notre professeur nous faisait passer des reproductions, sur des feuilles volantes ou des livres, des peintres dont elle nous parlait. À cette époque, je n’aimais guère la peinture abstraite. Et je ne peux pas dire que j’ai aimé d’emblée la peinture qui m’était présentée, Le Lavandou, mais quelque chose s’était posé sur ma rétine, et je ne pouvais plus désormais m’empêcher de revenir vers cette reproduction pour la regarder. Je n’arrivais pas à déterminer si elle représentait quelque chose ou non, mais je sentais que l’assemblage même des couleurs avait un sens profond qui parlait à ma sensibilité, qui me donnait pour la première fois plus à ressentir qu’à voir.
On ne peut d’ailleurs pas vraiment parler de peinture abstraite en ce qui concerne Nicolas de Staël. Lui-même, après une incursion dans cette voie, se défendait ensuite de faire partie de cette mouvance. Ce qu’il y a d’étonnant chez lui, et qui s’est révélé à la lecture de sa vie, c’est cette insatiable soif de peinture. Il peignait non pour les autres mais pour lui, dans une sorte d’élan vital. Tellement vital qu’il en oubliait les autres fonctions qui servent tout d’abord à vivre, comme manger par exemple, et il préférait torturer ses tripes plutôt que de ne pouvoir acheter de la couleur pour ensuite la triturer sur la toile. Il est en cela l’exemple même de la passion, dans les différentes acceptions de ce terme. Passion propre à l’affect, qui se joue de l’homme et qui place, au-dessus de tout, les désirs qui débordent de lui. Passion dévorante, qui ne peut se contenter de vivre dans la mesure commune et qui porte celui qui lui est assujetti à l’autodestruction. Ainsi écrit-il, peu avant sa mort, à une ancienne amie de l’Académie des beaux-arts : « Depuis que “cela” se vend – qu’on me prend en considération – qu’on me dit sur la route de la célébrité, c’est foutu mon amie. Il n’y a plus rien. Cela se vide… J’ai perdu mon univers et mon silence. Je deviens aveugle. Ah, Dieu… revenir en arrière ! N’être personne pour les autres et tout pour moi-même… Si vous n’avez pas encore perdu votre monde  gardez-le jalousement, défendez-le contre l’envahissement ; moi, j’en crève… ».

Passion, courage, persévérance, pour arriver à devenir un grand dans son domaine, chacun nous apprend qu’il faut, à un moment ou à un autre (mais ce qui correspond finalement chez eux à un besoin, presque à une nécessité) se jeter dans le vide, en souhaitant que l’état d’apesanteur dure le plus longtemps possible…

vendredi 11 février 2011

Morgen

Il y a quelques années de cela, j’ai fait un voyage en Roumanie en « immersion » dans une famille roumaine. Au premier petit déjeuner, le père de famille m’a proposé quelque chose que je n’ai pas tout de suite compris : pálinka. Après traduction, il s’agissait d’un alcool fort, en fait l’équivalent de la fameuse "prune" de  nos campagnes qui est encore fabriquée çà et là par les derniers bouilleurs de cru. Je ne me sentais pas de refuser, et je n’ai pas été déçu car en plein mois d’août caniculaire, elle réchauffait bien !

Quelques jours plus tard, alors que l’on voyageait en faisant du camping sauvage au bord des rivières roumaines, la tradition vite instaurée voulait qu’avant chaque dîner le père de famille et moi-même partagions un verre de la dite pálinka. Un soir je lui refusais ce plaisir, je ne me souviens plus pourquoi, fatigue ou mal de tête. Ce petit homme jovial, un peu rondouillard et affable m’a alors regardé gravement en me disant : « Il faut boire, cela fait oublier la misère »…

Alors évidemment à ce mot de pálinka, prononcé dans une des premières scènes du film Morgen ("demain" en allemand) de Marian Crisan, ces souvenirs aussitôt sont remontés dans ma mémoire. Le héros, Nelu, en propose à celui qui devrait réparer son toit. Mais dans un pays comme la Roumanie, et surtout lorsque chacun se bat pour surnager au-dessus de la pauvreté, tout se monnaie d’une manière ou d’une autre. Nelu le sait bien et se méfie autant qu’il peut des personnes qui essaieraient de profiter de lui.

Yilmaz Yalcin, migrant turc dans Morgen
Vigile dans une chaîne de supermarchés discounts allemands de la petite ville frontière où il habite, on le voit tel un super-héros de pacotille enfiler à plusieurs reprises le pantalon rouge et la chemise jaune siglée "Predator Security". Déjà, dans le magasin, il aide les gens comme il peut, clients comme magasiniers. Ce qui manque à sa vie, c’est probablement cette vocation d’aide, qui va se dévoiler lorsqu’un migrant turc l’implore, sans que ni l’un ni l’autre ne parle la même langue, de l’aider à franchir la frontière pour partir rejoindre sa famille en Allemagne.

Nelu le cache tout d’abord, puis finit par aider cet étranger, véritable moulin à paroles mais qui arrive de ce fait à faire si bien comprendre sa détresse. Il ne le secoure pas "gratuitement", mais à partir du moment où il accepte l’argent de ce petit bonhomme, il se sent comme investi d’une mission. Morgen, c'est le mot leitmotiv que Nelu le roumain répète à Behran le turc, le jour d'après, celui des lendemains qui chantent, du moins faut-il l'espérer. Mais il ne s’agit pas dans ce film de montrer simplement quelqu’un venir au secours d’un autre, c’est aussi la révélation d’une amitié, d’une compréhension entre les êtres qui dépasse la parole, ce qui en soi n'a pas de prix.

On a souvent envie de rire, on rit d’ailleurs mais en étant un peu gêné, car tout le film baigne entre ces deux pôles que sont le tragique et  le ridicule. De la première à la dernière scène qui se répondent comme dans un jeu de miroirs, c’est l’absurde qui baigne la vie des personnages, qui l’acceptent car ils n’ont pas d’autre choix… Et cependant, c’est en faisant le choix d’aider un homme à franchir une frontière, en devenant hors-la-loi, que Nelu devient un héros, et se découvre un ami. Il faut croire en l’autre, c’est le seul rempart à la misère humaine…