samedi 11 septembre 2010

Art de rue – la culture de l’éphémère

Il y a des formes d’arts qui, volontairement, sont faites pour être là pour un moment, une heure, une journée ou peut-être plus, mais qui presque irrémédiablement disparaissent. L’art qui se peint, s’écrit, s’affiche sur les murs de nos villes est celui que l’on voit le plus fréquemment, ou tout du moins le perçoit-on au fil de nos pas comme une sorte d’empreinte visuelle. Peut-être parce que c’est un art qui s’introduit dans notre quotidien et qui n’est pas, comme par exemple, la sculpture sur glace en hiver, les modelages de sable sur les plages en été, associé à une saison, un temps et une certaine idée de « noblesse » intégrés souvent par notre esprit et pour lesquels nous sommes souvent plus réceptifs.
Les œuvres des rues demandent une autre attention de notre part, et sont là – du moins j’imagine que c’est un des buts qui guide les artistes qui les produisent – pour nous faire sortir de notre quotidien, nous interpeller, créer en nous des associations entre ce que l’on voit, le milieu dans lequel elles se trouvent et notre propre fond culturel auquel ces objets d’art renvoient, selon la diversité des expériences de chacun.
© P.-O. Lhermite
Dans les rues de Paris, et probablement dans bien d’autres villes de France et de Navarre, fleurissent en ce moment des œuvres sous forme de collages papier, représentant généralement une figure humaine, accompagnées parfois d’un autre collage sous la forme d’une « bulle » de texte. Il y a un ou deux mois, en me promenant dans la rue Lemercier dans le 17e arrondissement, j’ai pris en photo plusieurs de ces « assemblages ». Je parle d’assemblage car un même pan de mur regroupe souvent plusieurs collages qui, volontairement ou non, s’associent. L’un d’eux représentait – car il a désormais disparu – un personnage féminin, avec une robe moderne dans l’association d’une capuche et de poches, mais qui, par sa coupe et l’emploi d’une seule couleur, a un certain côté intemporel. Cette figure est féminine sans exagération, une légère forme de seins et de hanches, sans rien d’ostentatoire. À ceci s’associe la position du visage, de profil et incliné sur la gauche, et celle des mains venant se loger dans les poches, créant des plis sur le bas du ventre et permettant, tout comme les plis de la capuche, de donner du mouvement à la composition. L’expression du visage jointe à son inclination indique, en quelques traits légers pour la bouche et le seul œil droit, une réflexion empreinte de mélancolie. Cette attitude est soulignée par le cartouche qui passe légèrement sur l’arrière du crâne, comme l’expression dévoilée d’une pensée intérieure : « Love should be a color », l’amour devrait être une couleur.
Deux couleurs ressortent de l’œuvre, qui l’une et l’autre sont à l’opposé dans le cercle chromatique, le vert de la robe et le rouge-orange – ou le roux de la mèche de cheveux de la jeune femme. Couleur chaude, couleur froide, il y a dans cette association même toute l’interrogation posée. Elles correspondent soit pour le vert au bonheur, à une certaine forme de tendresse, et pour le rouge à la passion, au désir. Le bonheur est-il un vêtement dont on se couvre pour échapper aux flammes de la passion qui couvent en-dessous ? L’amour est-il une combinaison de ces deux couleurs ? L’œuvre pourrait vouloir dire que non. En effet, si on mélange le vert et le rouge, on obtient du gris, comme si les sentiments auxquels ces couleurs s’associent ne pouvaient donner ensemble qu’une sorte de marasme, d’amour sans vie. D’où la mélancolie, qui sait aussi, la résignation du personnage qui, les deux poings dans les poches, semble également se protéger en se refermant sur lui-même. Le sentiment d’amour devrait être une couleur, mais qui n’existe pas, ou alors entre le vert et le rouge, avant de se fondre dans le gris des murs de nos villes, et de disparaître…