jeudi 23 décembre 2010

Impressions d'une exposition

Cela arrive quelquefois qu’un lieu, une phrase, un geste viennent vous évoquer différentes choses et trouvent comme objets de résonance votre passé, votre expérience ou votre conscience. Cela m’est arrivé récemment en parcourant les salles de l’exposition intitulé « L’Or des Incas » qui se tient en ce moment à la pinacothèque de Paris. C’est la troisième fois, après celles sur Valadon et Utrillo il y a deux ans et celle sur Edvard Munch l’année dernière que je me rends dans ce lieu, et j’en apprécie globalement la qualité, tant sur le plan de la scénographie que sur celle des œuvres présentées.
Il y a cependant quelques maladresses dans cette dernière, comme celle commune à nombre d’expositions à l’heure actuelle qui consiste à mettre le strict minimum d’explication à côté des œuvres, cherchant à pousser ainsi le visiteur à ré-ouvrir son porte-monnaie pour avoir un audio-guide. On peut aussi critiquer la mise en place de certains objets, pour lesquels il vaut mieux faire un mètre vingt pour bien les observer, mais disons que cela a certainement été pensé pour les enfants… Certaines salles font en outre part de leur vacuité, comme celle des instruments de musiques où il y a plus de textes sur les murs que d’objets présentés, et une meilleure mise en place aurait pu éviter cela. Quant au texte, il y en a, mais essentiellement historique, pas assez concis pour être efficace et appelant le visiteur à une gymnastique, non seulement pour le voir derrière les personnes agglutinées devant, mais également pour le relier aux œuvres présentées…
Couteau rituel sicán en or
Une de mes premières impressions a été la tristesse. Je ne pouvais m’empêcher en regardant ces objets, pour beaucoup retrouvés récemment dans des sépultures et qui ont réchappé au pillage des conquistadors, de voir là, sous mes yeux, les miettes d’une civilisation détruite par l’occident, de penser que les ors qui décorent les monuments d’Espagne et d’Europe sont ceux fondus des objets et reliques de ces peuples qui ont été, pour ce précieux métal, massacrés. Notre civilisation est bien immonde…
Et puis au détour d’une salle sont venus les rituels de ces civilisations, consistant entre autre en offrandes de vêtements, de nourriture, de sacrifices humains. M’est alors revenu en mémoire cette planche des Idées noires de  Franquin. On y voit, en haut d’une pyramide, un prêtre inca massacrer des hommes les uns après les autres, sortant de leurs poitrines leurs cœurs palpitants et les présentant au dieu soleil. La conclusion de Franquin : vous savez, ce phénomène que nous appelons les éruptions solaires, en fait c’est le soleil qui dégueule en nous regardant. L’humanité, où que l’on se trouve, n’est pas toujours bien reluisante…
Entre ces impressions pourtant, émaillant toute l’exposition, un souvenir d’enfance, celui du dessin-animé Les mystérieuses cités d’or : en voyant un quipu, ces nattes tressées de nœuds et servant probablement de système de comptabilité, que seule Zia pouvait déchiffrer ; en contemplant ces objets si finement ciselés qu’ils semblent appartenir à une civilisation très avancée, comme l’empire de Mu dont Tao se disait le dernier descendant… Je sors de l’exposition avec un sentiment étrange, mélange de toutes mes impressions, une femme dans le hall appelle son fils : Esteban, viens ici !
Je souris.

jeudi 11 novembre 2010

Toussaint

Veille de la Toussaint, je n’y pense même pas, et pourtant je suis décidé à me rendre au cimetière de Montmartre. J’ai pris mon appareil photo, je sais que la dernière fois que je m’y suis rendu, j’ai été subjugué par une statue funéraire. C’est un art dont on parle peu, la mort n’est pas forcément vendeuse, du moins seulement ponctuellement. Les arbres ont pris une belle couleur jaune, cela ne durera pas éternellement, il faut profiter du moment.

Je n’ai pas relevé le nom de l’artiste, pourtant j’ai tourné pudiquement autour de la tombe pour aller y lire son autographe. Je n’ai pas retenu non plus le nom de la personne qui a mérité un aussi joli mausolée, la beauté important à mon avis toujours plus que la taille. Oui, j’ai dit pudiquement, car malgré tout je me sens gêné de prendre ainsi des photos dans un lieu qui soutient le souvenir jusqu’à temps que celui-ci disparaisse. Lorsque je butte contre une tombe, je ne peux m’empêcher de dire « pardon », pas de manière automatique comme cela se fait quotidiennement dans les incessantes bousculades du métro, mais avec plus de respect finalement pour les morts que pour les vivants. Et pourtant je souris lorsque je vois une tombe ouverte sur le côté, et transformée à l’intérieur en tanière pour chats, avec tout ce qu’il faut de mou et de croquettes pour tenir au moins sept vies.

© P.-O. Lhermite
La statue représente une femme vêtue d’un seul grand voile de deuil, qu’elle laisse impudiquement ouvert sur sa poitrine. Il n’y a plus pour elle de pudeur à avoir, la mort a emporté l’être cher. Plutôt que de retenir le voile avec ses mains pour cacher sa chair nue, de l’une elle se soutient pour ne pas s’affaisser sur la pierre tombale, de l’autre elle cache son visage que l’on imagine en larmes. Il y a dans cet abandon nulle faiblesse telle que l’on peut l’entendre normalement, mais la force de la vie qui a besoin d’évacuer toute la tristesse contenue.


Musée Fabre/Montpellier
Je ne peux m’empêcher de penser, en la regardant, que l’artiste s’est peut-être inspiré d’un marbre allégorique de Jean-Antoine Houdon, L’Hiver ou La Frileuse. En effet, c’est un même voile posé sur la tête de la jeune-fille qui lui sert de seul habit, mais que celle-ci ramène sur sa poitrine, le visage penché et les épaules un peu voûtées par le froid, laissant quand bien même ses fesses sans nulle protection. Cela pourrait être aussi bien une jeune fille sortant du bain, mais auprès d’elle se trouve une vasque que le gel a fait exploser et dont quelques morceaux jonchent le sol à ses pieds. Le reste tient par l’effet de l’eau gelée qui garde, comme une empreinte, les lignes du vase.

Inspiré ou non, l’artiste funéraire a repris le même symbole, celui de la jeune-fille voilée, figure de deuil d’un hiver éternel au-dessus duquel la vie éclate dans toute la douleur, l’oubli de soi et la volonté malgré tout de ne pas fléchir. Il faut parfois se rendre dans un cimetière pour avoir des preuves de vie.

Il n’y a presque plus de feuilles aux arbres…

samedi 11 septembre 2010

Art de rue – la culture de l’éphémère

Il y a des formes d’arts qui, volontairement, sont faites pour être là pour un moment, une heure, une journée ou peut-être plus, mais qui presque irrémédiablement disparaissent. L’art qui se peint, s’écrit, s’affiche sur les murs de nos villes est celui que l’on voit le plus fréquemment, ou tout du moins le perçoit-on au fil de nos pas comme une sorte d’empreinte visuelle. Peut-être parce que c’est un art qui s’introduit dans notre quotidien et qui n’est pas, comme par exemple, la sculpture sur glace en hiver, les modelages de sable sur les plages en été, associé à une saison, un temps et une certaine idée de « noblesse » intégrés souvent par notre esprit et pour lesquels nous sommes souvent plus réceptifs.
Les œuvres des rues demandent une autre attention de notre part, et sont là – du moins j’imagine que c’est un des buts qui guide les artistes qui les produisent – pour nous faire sortir de notre quotidien, nous interpeller, créer en nous des associations entre ce que l’on voit, le milieu dans lequel elles se trouvent et notre propre fond culturel auquel ces objets d’art renvoient, selon la diversité des expériences de chacun.
© P.-O. Lhermite
Dans les rues de Paris, et probablement dans bien d’autres villes de France et de Navarre, fleurissent en ce moment des œuvres sous forme de collages papier, représentant généralement une figure humaine, accompagnées parfois d’un autre collage sous la forme d’une « bulle » de texte. Il y a un ou deux mois, en me promenant dans la rue Lemercier dans le 17e arrondissement, j’ai pris en photo plusieurs de ces « assemblages ». Je parle d’assemblage car un même pan de mur regroupe souvent plusieurs collages qui, volontairement ou non, s’associent. L’un d’eux représentait – car il a désormais disparu – un personnage féminin, avec une robe moderne dans l’association d’une capuche et de poches, mais qui, par sa coupe et l’emploi d’une seule couleur, a un certain côté intemporel. Cette figure est féminine sans exagération, une légère forme de seins et de hanches, sans rien d’ostentatoire. À ceci s’associe la position du visage, de profil et incliné sur la gauche, et celle des mains venant se loger dans les poches, créant des plis sur le bas du ventre et permettant, tout comme les plis de la capuche, de donner du mouvement à la composition. L’expression du visage jointe à son inclination indique, en quelques traits légers pour la bouche et le seul œil droit, une réflexion empreinte de mélancolie. Cette attitude est soulignée par le cartouche qui passe légèrement sur l’arrière du crâne, comme l’expression dévoilée d’une pensée intérieure : « Love should be a color », l’amour devrait être une couleur.
Deux couleurs ressortent de l’œuvre, qui l’une et l’autre sont à l’opposé dans le cercle chromatique, le vert de la robe et le rouge-orange – ou le roux de la mèche de cheveux de la jeune femme. Couleur chaude, couleur froide, il y a dans cette association même toute l’interrogation posée. Elles correspondent soit pour le vert au bonheur, à une certaine forme de tendresse, et pour le rouge à la passion, au désir. Le bonheur est-il un vêtement dont on se couvre pour échapper aux flammes de la passion qui couvent en-dessous ? L’amour est-il une combinaison de ces deux couleurs ? L’œuvre pourrait vouloir dire que non. En effet, si on mélange le vert et le rouge, on obtient du gris, comme si les sentiments auxquels ces couleurs s’associent ne pouvaient donner ensemble qu’une sorte de marasme, d’amour sans vie. D’où la mélancolie, qui sait aussi, la résignation du personnage qui, les deux poings dans les poches, semble également se protéger en se refermant sur lui-même. Le sentiment d’amour devrait être une couleur, mais qui n’existe pas, ou alors entre le vert et le rouge, avant de se fondre dans le gris des murs de nos villes, et de disparaître…

lundi 26 juillet 2010

L'autre et le monde

Je viens de mettre la Gnossienne n°1 d'Eric Satie pour écrire ce petit commentaire du très beau diptyque de livres de Kim Lefèvre, Métisse Blanche et Retour à la saison des pluies. Il faut parfois un cadre sonore pour écrire, et celui-là correspond pour moi, du moins en partie, au ressenti de la lecture de cette autobiographie. Il y a dans la musique de Satie ce même mélange de mélancolie et de tristesse, allié à une forme d'espérance en ce qui va suivre...
"Batârde", née des amours sans lendemain d'une mère vietnamienne et d'un soldat français, l'enfant tout d'abord, puis la jeune femme auront à lutter contre le racisme et les préjugés. Il s'agit là d'un combat, sans véritable victoire possible, face à la stigmatisation de la différence qu'elle porte à même la peau, seule chose dont il est difficile de jamais pouvoir se défaire.
Son combat, elle le livre au quotidien, dans la maison familiale ou son parâtre l'a reconnue administrativement mais la considère comme une mauvaise graine ; dans la rue, avec les autres enfants, en essayant d'abroger son altérité physique ; dans tous les rapports que l'on dit humain en général, à l'orphelinat, au pensionnat, à l'université ; bien entendu, de manière sous-jacente, il y a aussi une lutte perpétuelle avec elle même. Cette guerre, elle la livre seule contre tous, alors que de loin en loin parviennent les échos parfois violents, parfois étouffés d'une autre guerre, celle que l'on dit d'Indochine.
Il y a cependant dans la parole de Kim Lefèvre quelque chose d'universel et qui peut, qui doit éveiller quelque chose en chacun d'entre nous. Elle révèle sans fausse-pudeur les peurs de son enfance, les émois de son adolescence, les doutes de son âge adulte. Il ne s'agit pas de retrouver seulement dans ses lignes le goût et les saveurs d'un sud lointain mais bien de faire un pas, au fil des pages et à la suite de la narratrice, vers cette quête d'humanité à laquelle il est bon d'essayer de tendre.

vendredi 2 avril 2010

Miossec, Olympia, Paris, 24 mars 2010

Quand on suit un chanteur depuis ses premiers albums, quand on a passé toute la première partie de sa vie d’adulte à écouter ses textes âpres et poétiques, on ne peut qu’être impatient de le voir pour la première fois sur scène, d’autant plus lorsqu’il s’agit de l’Olympia. Cependant, quand on sait que ce dernier est capable d’arriver devant son public dans un état d’ébriété avancé, ne tenant même pas sur une chaise et terminant le concert couché par terre ; quand celui-ci, breton avant tout, a déjà demandé au public de la capitale s’il y avait des parisiens dans la salle, et après les cris enthousiastes, lui gueule : « Vous devriez avoir honte ! », on peut raisonnablement avoir quelques craintes sur le déroulement de la soirée.

Il entre sur scène en s’aidant pour marcher d’une petite canne noire dont le pommeau lui arrive à la hanche. On se dit à le voir qu’il est probablement moins heureux que nous de se retrouver là, qu’il doit se sentir mieux dans son Finistère à écrire ses chansons plutôt que de faire la tournée de promotion de son album. Il commence à chanter, la voix est au rendez-vous, les textes pas toujours… En effet, on remarque un chevalet qui ne semble pas seulement là pour le bel hommage à Bashung en Osez Joséphine, mais également pour ses propres compositions. Ignore-t-il que pour nombre de ses admirateurs chacune de ses chansons est belle par l’agencement précis de ses mots, et que de le voir répéter deux fois à la suite le même couplet fait un peu mal au cœur. Lui qui cite volontiers les poètes, et notamment Georges Perros ; lui qui a, cela se sent, l’amour des mots, semble ne pas tenir à « sacraliser » ce qu’il écrit et n’y prête donc pas attention.

Comme on aimerait cependant qu’il croit plus en lui et en ses textes. Peut-être n’aurait-il pas de ce fait à se défendre face à ces fans qui ne lui demandent que des chansons de ses deux premiers albums, comme si, dit-il lui-même, le meilleur de sa carrière était il y a 15 ans. Cependant, au fur et à mesure que le concert se déroule, il se passe quelque chose. Les chansons de ses deux derniers albums ressortent étrangement et lorsque le concert se termine, on n’a qu’une hâte, celle de réécouter L’étreinte et Finistériens.

« La mélancolie c’est communiste, tout le monde y a droit de temps en temps », merci à vous Christophe de partager la belle « vôtre » avec nous.

lundi 22 mars 2010

La Piscine, le musée de Roubaix


© P.-O. Lhermite

Connaissez-vous La Piscine de Roubaix. Probablement pas, et pourtant, il s’agit bien d’un des plus beaux musées de France. En effet, le musée s’est installé en lieu et place de l’ancienne piscine municipale au style art déco construite dans les années 1930.

Il est difficile de parler d’une architecture, et pourtant celle-ci vaut le détour. Vous entrez dans la Piscine par un petit couloir où il ne manque qu’un pédiluve, et vous vous retrouvez devant un bassin entouré de statues comme, on imagine, à la période la plus florissante de l’antiquité grecque. Pour y accéder, vous pouvez passer par une des cabines de douches avec vestiaires qui ont été laissées en l’état. Une tête de Neptune crache ses flots dans le bassin central et le bruit constant de l’eau vous rappelle ceux d’autres piscines, quand tout à coup des cris d’enfants, des bruits de jeux et d’éclaboussures raisonnent tout autour de vous. 10 secondes. Puis le calme revient, et vous vous abandonnez à la contemplation du lieu et aux œuvres qui y sont exposées.

© P.-O. Lhermite
Car il ne s’agit pas seulement d’un lieu étonnant est magique et les œuvres qui y sont exposées ne sont pas simplement belles : l’accord entre l’un et les autres crée un effet de correspondance, un double effet de mise en valeur comme ces statues qui viennent se refléter dans l’eau. On passe d’un espace à un autre avec des cloisons aux ouvertures multiples, aux jeux de transparences dans les vitres, le tout éclairé par une lumière douce que déversent les très beaux vitraux situés à chaque extrémité de ce temple dédié à la culture. Peu d’endroits, hormis peut-être les cathédrales gothiques, offrent un tel effet où l’art est sublimé par l’espace et la lumière.

Il est enfin drôle de regarder et d’écouter les gens qui s’y 
promènent, leur étonnement et leur admiration, surtout lorsqu’une dame d’un certain âge se retourne vers ses amis en leur disant : « Quand je pense que c’est là que j’ai appris à nager ! ».

La couleur de l’aube, Yanick Lahens, roman

Au dernier salon du livre de Paris, en mars 2009 donc, je me suis approché du stand des belles éditions Sabine Wespieser. Comme à l’habitude dans ce genre de manifestation, un livre placé en tête de gondole à moult exemplaires, et à une table ronde à côté, une dame discrète, l’auteur sans aucun doute, qui était là pour la séance de signatures. J’ai d’abord saisi un livre dans la pile, et trouvant le résumé intéressant et le titre attirant, La couleur de l’aube, je suis allé vers Yanick Lahens. Nous avons commencé à discuter, elle m’a dit qu’elle était venue exprès pour recevoir un prix. Je la félicitais naïvement car elle m’était parfaitement inconnue. Pour vous aussi peut-être, et pourtant je vous recommande ce très beau livre, qui avant le cataclysme qu’a subi son île, raconte la vie quotidienne, âpre et violente d’une famille, de deux sœurs, Angélique et Joyeuse, qui attendent le retour à la maison de leur jeune frère Fignolé. Par le croisement de leurs monologues intérieurs, par le quotidien de chacune au cours d’une journée à Port-au-Prince, Yanick Lahens peint de manière poétique la terrible réalité haïtienne. Comme le dirait Hugo, elle fait ressortir de la boue des rues sordides de la capitale haïtienne des perles d’humanité.
Un des mes premiers réflexes après le tremblement de terre fut de me renseigner par le biais d’internet sur son état de santé, et je fus rassuré de la savoir toujours vivante. Elle a même écrit une lettre ouverte, et je ne peux m’empêcher de citer ses mots : « Cet événement si éprouvant soit-il n’est pas parvenu à éteindre l’écrivain en moi qui se pose aujourd’hui plus que jamais les questions suivantes: quoi écrire et comment écrire ? (…) écrire ce n’est pas seulement tracer des mots, “il faut être plus fort que soi pour aborder l’écriture, il faut être plus fort que ce qu’on écrit”. J’essaie en ces jours difficiles d’accumuler un peu de cette force pour transcender l’événement et arriver de nouveau vers mes lecteurs avec des mots qui sauront les toucher comme des mains. »

Lien : http://papalagi.blog.lemonde.fr/2010/02/10/comment-ecrire-et-quoi-ecrire-yanick-lahens/#xtor=RSS-32280322

Un bout de chemin avec Mano Solo


Faire un bout de chemin avec Mano Solo, c’est l’entendre par exemple pour la première fois dans un camp militaire. Un appelé, comme nous, un de ces derniers à devoir faire son service, était chargé du bar où, après notre journée de plan Vigipirate, nous venions boire quelques bières. La marmaille nue était son album préféré, et il le mettait souvent en fond musical. Nous, nous étions chargés la journée de surveiller les pylônes d’une centrale électrique alimentant les chaînes de télévision pour la diffusion de la coupe du monde de football. Et le soir c’était Mano qui dans nos oreilles déversait « Au creux de ton bras » pendant que nous, nous levions le coude à la nouvelle journée passée.
Deux ans plus tard, j’ai d’abord rejeté Dehors. Ce cadeau me rappelait probablement trop le temps de ce service qui fut trop long. Et puis je l’ai mis un jour dans ma chaîne hi-fi. C’est probablement l’album que j’ai le plus écouté de tous ceux que je possède. Ensuite ce fut l’impatience du prochain, et il se fit un peu attendre Mano avant de nous offrir Les animals. Les affiches de la très belle pochette d’In the garden annonçant son concert un peu partout dans la ville, sur les « panneaux sucettes » et les arrêts de bus. Je l’aurais au moins vu une fois. Et puis celles de son dernier album dans le métro, de son dernier concert. J’ai eu en cadeau Rentrer au port pour Noël. Le 10 janvier Mano partait.
Je sais que je vais continuer à chercher les chemins de Mano. Déjà, je suis allé prendre un thé aux Enfants rouges, j’ai baguenaudé de la place Clichy à Barbès, je me suis arrêté sur un pont et j’ai regardé le coucher de soleil sur le périph’, et quand je le longe en train, je pense à lui en regardant le canal du Midi. Je sais qu’un de ces quatre j’irais me balader dans d’autres lieux qu’il a chantés. Au fur et à mesure que ma vie avancera, je me promènerai aussi, je le sais, autrement dans ses mots, car il en est ainsi de toute belle écriture poétique, qui telle un phénix, se renouvelle en permanence.